Chief of Staff dans un grand groupe

Parce que les organisations évoluent vers des structures à la fois plus complexes et plus agiles, les Chiefs of Staff deviennent très appréciés des grands groupes. Smahane El Arouni, ancienne Chief of Staff du CTO d’Accor et aujourd’hui Vice-Présidente de la Transformation et de la Performance au sein du département Accor Tech, accompagnée de Karen Vaniche, Senior Vice-Présidente RH, font part de leur retour d’expérience.

Smahane, pouvez-vous présenter le parcours qui vous a conduit à occuper le poste
de Chief of Staff au sein d’Accor ?

Smahane El Arouni : Après un passage en cabinet de conseil à ma sortie d'HEC, j’ai voulu me rapprocher du secteur de l’hôtellerie, qui m’a toujours beaucoup attiré. C’est là que j’ai eu l’opportunité de rejoindre le groupe Accor et d’occuper le poste de Chief of Staff du CTO. Je n’avais pas forcément un background technique, mais plutôt un profil très généraliste, qui collait bien avec les enjeux du poste. Mon expérience du conseil m’avait initiée au contexte des entreprises du CAC 40 et permis de travailler à tous les niveaux des organisations, mais aussi de côtoyer les C-Levels et le Top Management. C’est précisément le type d’expérience qui prépare bien à un poste de Chief of Staff dans un grand groupe. Il faut savoir naviguer entre les différents sujets, passer très rapidement d’un sujet à l’autre et interagir avec des interlocuteurs variés.

Comment et pourquoi l’évolution des organisations favorise-t-elle l’émergence des Chiefs of Staff dans les grands groupes ? Cette fonction est similaire à celle qui existe en startup ?

Smahane El Arouni : J’ai également eu l’occasion d’occuper cette fonction en startup et je peux témoigner que les deux expériences ne sont pas comparables, du moins dans mon cas. Les enjeux et les écosystèmes sont très différents, ce qui impacte forcément la réalité du poste. En grand groupe, chez Accor,  le Chief of Staff accompagne les problématiques stratégiques du dirigeant. En revanche, dans l’univers des startups, elle recouvre probablement des réalités beaucoup plus disparates et le Chief of Staff peut jouer aussi bien un rôle stratégique que de couteau suisse.

Karen Vaniche : J’apporterais également une précision importante : chez Accor, nous utilisons plutôt le titre de Directeur de projet pour désigner la fonction de Chief of Staff, dont le vocable relève effectivement beaucoup plus de l’univers des startups. En revanche, nous nous sommes bel et bien inspirés du modèle de poste qui existe en startup pour répondre à l’évolution de nos structures, qui deviennent de plus en plus complexes et matricielles.

Face à cette évolution, il est devenu nécessaire de doter les membres du COMEX, mais aussi les C-Levels qui entrent en fonction ou qui gagnent en importance, d’un bras droit qui filtre les sujets et joue le rôle de porte d’entrée et de sas de décompression. Le rôle de ce directeur de projet - ou de Chief of Staff - est concrètement de gérer les priorités, de coordonner les projets et de communiquer de manière efficace avec toutes les parties prenantes, en tenant compte de l’agenda et des contraintes du dirigeant auquel il est rattaché. Il joue donc un rôle de vigie incontournable et veille à ce qu’aucun département, fonction ou domaine d’expertise avec lesquels le C-Level interagit, ne reste en attente de réponse.

Existe-il un profil type pour ce type de poste ?

Karen Vaniche : Difficile de parler de profil type. Je crois plus juste de parler de compétences et de qualités communes, nécessaires pour réussir à ce poste.

Une intelligence des situations et des personnes est indispensable, sans aucun doute, ainsi qu’un grand sens de l’organisation pour gérer 10, 20, 30, parfois jusqu’à 50 projets différents en même temps. Il faut également être capable de gérer des centaines d’interlocuteurs, tout en donnant le sentiment à chacun qu’il bénéficie du même niveau d’importance aux yeux du dirigeant. Le sens de la diplomatie est donc fondamental. Il faut également être agréable, avenant, mais aussi savoir faire preuve de fermeté lorsque c’est nécessaire, mais toujours en douceur. Il faut donc avoir une vraie capacité à créer de très bonnes relations interpersonnelles. J’ajouterais enfin un grand sens de la confidentialité, car les Chiefs of Staff ont accès à de nombreuses informations sensibles.

Smahane El Arouni : L’humilité me paraît également incontournable. On travaille avec des gens d’une très grande expérience, qui ont parfois 20 ou 30 ans de carrière, qui disposent d’un niveau d’expertise très pointu et qui gèrent des équipes de centaines de personnes. Il faut donc aussi savoir rester à la place qui est la sienne. Pour en revenir au profil type, je dirais que ce type de poste est occupé en majorité par des personnes jeunes, avec entre 5 et 10 ans d’expérience professionnelle, issues soit du monde du conseil soit de la promotion interne. En termes de parité homme/femme, cela me paraît assez équilibré chez Accor.

Comment réussir à s’imposer sans dépasser les limites de ses attributions ?

Smahane El Arouni : L’un des premiers conseils que j’ai reçus en arrivant est de prendre le temps de rencontrer les personnes de notre écosystème. S’intéresser aux gens n’est jamais une perte de temps. J’ai donc vraiment consacré du temps à faire la connaissance de toutes les personnes du COMEX de mon département, mais aussi de leurs équipes et des autres départements. Je voulais savoir quelles étaient leurs réalités et leurs problématiques actuelles. Accorder du temps aux gens me paraît  incontournable pour débloquer des situations lorsque c’est nécessaire et gagner en crédibilité. Le but est d’aider les C-Levels ou les membres du Comex avec lesquels on travaille à faire avancer leurs dossiers. Si on le fait avec intelligence et efficacité, on est très vite reconnu dans son rôle et on bénéficie alors d’une vraie légitimité.

Quelles sont les perspectives qui s’offrent ensuite aux Chiefs of Staff au sein d’Accor ?

Karen Vaniche : C’est une véritable porte d’entrée dans un groupe comme le nôtre, car il permet de rencontrer énormément de monde en interne et d’avoir une vision très étendue des différents métiers du groupe. On y positionne donc des profils identifiés comme de hauts potentiels. L’une de notre première Chief of Staff est d’ailleurs aujourd’hui membre du COMEX. En général, les personnes occupent ce poste pendant 2 à 4 ans, avant d’évoluer vers des fonctions très opérationnelles, comme la direction de régions, de très gros hôtels ou de départements. L’un est par exemple devenu directeur de l’Audit de la région Pacifique, un autre CFO d’une de nos marques de luxe, etc…

Smahane El Arouni : De mon côté, j’ai occupé la fonction pendant 2 ans, entre avril 2021 et mars 2023, avant de devenir Directrice de la Transformation,  puis VP Transformation et Performance.

Tous les C-Levels au sein d’Accor disposent-ils d’un Chief of Staff ?

Karen Vaniche : Non, ce n’est pas systématique. Cela repose avant tout sur une approche personnelle. Tout dépend finalement des habitudes de travail de chacun. Certains membres du COMEX n’ont jamais exprimé le besoin d’avoir un directeur de projet, même s’ils disposent tous d’un ou d’une Personal Assistant. Il arrive aussi que d’autres finissent par le demander et se rendent compte que ce directeur de projet leur devient vite indispensable. La possibilité de se faire accompagner d’un Chief of Staff n’est pas non plus un argument pour attirer les C-Levels chez nous. Un groupe comme Accor dispose de nombreux autres atouts. Il demeure qu’il existe effectivement une vraie dynamique en faveur de ce type de poste et que les Chiefs of Staff ont aujourd’hui le vent en poupe.

Comment trouver sa place en tant que Chief of Staff sans empiéter sur le périmètre des Personal Assistant ?

Karen Vaniche : C’est une très bonne question. Le Chief of Staff ou le directeur de projet, selon la terminologie attribuée au poste, doit impérativement travailler en bonne intelligence avec le Personal Assistant. Par exemple, il a besoin d’avoir une vue sur l’agenda du C-Level dont il est une sorte de bras droit, même si la gestion de cet agenda est en général placée sur la responsabilité du Personal Assistant.

Smahane El Arouni : Il est essentiel de respecter le rôle et l’historique de chacun. Par exemple, certaines assistantes travaillent avec le même membre du COMEX depuis des années. Elles le connaissent donc très bien et ont des habitudes de travail très rodées. Il faut le respecter et cela renvoie à la nécessaire humilité que j’évoquais tout à l’heure. Pour ma part, je m’étais fixé une ligne de conduite très claire : ne pas toucher à l’agenda de mon boss, sauf avec l’accord express de son assistance lorsqu’elle était en vacances. L’important est donc de travailler en bonne intelligence en prenant pour acquis que le rôle de personal assistant est beaucoup plus pérenne que celui de Chief of Staff. L’un est là pour durer, alors que l’autre reste généralement en poste quelques années avant d’occuper d’autres fonctions. Il est donc bien plus constructif de faire du Personal Assistant son allié. De ce point de vue, le rôle de Chief of Staff recouvre avant tout une dimension très humaine où la qualité de la relation de confiance qui se noue avec le C-Level et l’ensemble de ses interlocuteurs conditionne la réussite de la mission. 

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