Transformation, gouvernance, succession : le Chief of Staff au cœur des enjeux des entreprises familiales
Dans une entreprise familiale, où la vision à long terme et le projet collectif façonnent la stratégie, le chief of staff joue un rôle central. Alliant coordination, gestion de projets et transmission culturelle, il participe à orchestrer une croissance rapide, harmonieuse et structurée.
Les entreprises familiales constituent une force vive de l'économie française, représentant 83 % du tissu économique et employant plus de la moitié des salariés. On estime leur nombre entre 40 000 et 50 000, parmi lesquelles un tiers sont des petites et moyennes entreprises (PME) ou des entreprises de taille intermédiaire (ETI), représentant environ 60 % du PIB. Leurs caractéristiques ? Une vision stratégique à long terme, souvent portée par des générations successives de la famille fondatrice, et des valeurs fortes. Cette structure actionnariale familiale façonne la culture de l'entreprise et guide les choix stratégiques majeurs.
Ferrero en est un parangon. Fondée en 1946, l'entreprise a su allier tradition et innovation pour devenir un leader mondial de l'industrie agroalimentaire. En quelques années, son chiffre d'affaires est passé de 10 à 20 milliards d'euros, témoignant d'une croissance rapide et maîtrisée. Cette expansion s'est opérée tout en préservant les valeurs familiales, qui constituent le socle de sa culture interne. Dans ce contexte, le rôle de chief of staff (COS) revêt une importance particulière. Agissant comme un lien essentiel entre la direction et les équipes opérationnelles, le COS assure la cohérence des actions avec une vision à long terme et le respect des valeurs familiales. Retour sur les actions phares menées par Alexandre Cappelli, Africa-Levant Region COS & PMO au sein de Ferrero.
Entreprises familiales : contexte et défis spécifiques
Une vision stratégique orientée sur le long terme
Les entreprises familiales privilégient une stratégie axée sur la durabilité plutôt que sur des résultats financiers immédiats. « Leur structure non cotée en bourse leur offre la flexibilité nécessaire pour prendre des décisions stratégiques alignées avec leurs valeurs », souligne Alexandre Cappelli. Selon une étude de Deloitte, ces entreprises s’efforcent de transmettre leur héritage culturel et économique aux générations futures, garantissant ainsi leur pérennité et leur ancrage dans le temps. Chez Ferrero, cette approche se manifeste par un engagement fort envers un code éthique, la diversité et l’inclusion, ainsi que des pratiques commerciales exemplaires.
Une culture influencée par l’empreinte familiale
La présence des membres de la famille jusqu’au sommet de la hiérarchie influence profondément les prises de décision stratégiques. Selon l’enquête de Bpifrance Le Lab menée en septembre 2023 auprès de 2 233 chefs d’entreprises familiales, 70 % dirigent leur entreprise familiale depuis plus de 10 ans, dont 39 % depuis plus de 20 ans et 17 % depuis moins de 5 ans. Cette longévité a un impact considérable sur la vie et la gouvernance de l’entreprise : elle garantit que les valeurs et la vision des fondateurs demeurent au cœur des actions quotidiennes.
Si l’empreinte familiale confère un caractère unique à la culture de l’entreprise, elle introduit également des dynamiques politiques parfois complexes. « La dimension politique est indissociable de ce volet humain », confie Alexandre Cappelli, mettant en lumière les subtilités relationnelles et décisionnelles propres à ce type d’organisation.
Défis et opportunités des entreprises familiales
« La capacité des entreprises familiales à innover et à croître tout en restant fidèles à leurs valeurs est un défi constant », souligne l’étude Deloitte susmentionnée. En effet, le patrimoine familial revêt une double face : s’il constitue un puissant levier pour mobiliser les collaborateurs autour d’une vision commune, au quotidien, il peut devenir un frein. « La pression pour maintenir un cadre en phase avec les normes tout en suivant les processus parfois rigides peut rallonger les délais d’exécution. Cela peut donner l’impression que l’on prend moins de risques que d’autres acteurs du marché », précise Alexandre Cappelli. Pour dépasser ces limites, les entreprises familiales doivent s’entourer de talents externes au cercle de filiation, afin d’apporter une agilité supplémentaire.
Dans ce contexte, le rôle de chief of staff prend tout son sens. Il agit comme un facilitateur, s’assurant que la stratégie et les projets respectent les valeurs fondamentales de l’entreprise tout en encourageant l’innovation. Véritable garant de l’alignement stratégique, un élément clé en période de croissance, il joue également un rôle central dans la préservation des relations humaines, une pierre angulaire pour assurer la pérennité des entreprises familiales. « Grandir vite implique du stress, de l'anxiété et de la fatigue, ce qui peut générer des tensions. L’intelligence émotionnelle du COS est indispensable pour prendre du recul et désamorcer les tensions », confie Alexandre Cappelli.
Entre tradition et innovation: les 4 missions phares du COS
1. Gestion de l’agenda et fluidité organisationnelle
La gestion de l’agenda revêt une importance particulière. Comme le souligne Alexandre Cappelli : « Mes missions sont très opérationnelles, à commencer par l'enchaînement des meetings ! » Le chief of staff doit non seulement garantir la fluidité des réunions stratégiques – à savoir aligner les parties prenantes pour assurer l’optimisation du temps du CEO – mais aussi veiller à ce que chaque décision soit en adéquation avec les valeurs familiales et la vision à long terme.
La proximité avec la direction – composée de membres de la famille fondatrice – impose au COS une compréhension fine des enjeux relationnels et stratégiques. Ce rôle, qui repose sur de solides qualités organisationnelles et relationnelles, est essentiel pour préserver l’harmonie et maintenir le rythme de travail. Pour monter rapidement en compétences, Alexandre Cappelli confie deux conseils : « Se nourrir de l’histoire familiale de l’entreprise et échanger avec les membres du Conseil d’Administration. Cela permet de mieux comprendre les particularités de ce type d’entreprise. »
2. Préparation et coordination des routines business
La préparation des routines business constitue un autre volet important des missions du chief of staff. Cela requiert une compréhension approfondie des priorités stratégiques et de la culture de l’organisation : « Nous avons notamment une réunion mensuelle clé avec le Chief Business Officer, pour laquelle je dois recueillir les chiffres clés, consolider des données et établir une stratégie », explique Alexandre Cappelli. Ces stratégies incluent la mise en place de nouvelles Road-to-Market, l’élaboration de tactiques adaptées à des marchés soumis parfois à des géopolitiques instables, la création de nouvelles organisations, ou encore le développement de plans d’accélération dans des régions à fort potentiel. Ces initiatives visent à anticiper les défis et à tirer parti des opportunités tout en maintenant l’alignement avec les objectifs globaux de l’entreprise.
La préparation du document exige à la fois rigueur et réactivité. De même, dans cet exercice, le chief of staff doit garantir une communication claire et cohérente pour recueillir les données et les formaliser. « Cette capacité à synthétiser des informations complexes et à aligner les priorités stratégiques est indispensable pour mobiliser les équipes et accompagner la prise de décisions dans un cadre familial », insiste Alexandre Cappelli.
3. Gestion de projets et développement
Le chief of staff est au cœur des projets de développement – mise en place d'un projet de changement de Road-to-Market ou développement d'un projet d'accélération des ventes dans une région – où l’innovation doit coexister avec un profond respect pour l’héritage familial. Par exemple « Il faut comprendre le marché, l’héritage culturel du pays, s’intéresser à qui est dans l’entreprise… », explique Cappelli.
Le chief of staff doit sans cesse intégrer des pratiques innovantes tout en respectant les attentes des dirigeants familiaux. La curiosité envers de nouveaux outils et la capacité à prendre du recul sont cruciales pour appréhender les subtilités des enjeux locaux, tout en étant moteur d’une transformation en accord avec les valeurs fondamentales de l’entreprise. Pour cela, Alexandre Cappelli a du soutien : « Sans être formalisé via un réseau explicite, les COS se connaissent en interne : nous pouvons donc nous entraider de manière informelle »
4. Transformation commerciale
Enfin, le chief of staff joue un rôle crucial dans la transformation des processus commerciaux, un domaine clé pour les entreprises familiales en forte croissance, où tradition et accélération doivent cohabiter harmonieusement. « Les systèmes d’information, le reporting et l’application de méthodes agiles font partie de mes missions », explique Alexandre Cappelli. Parmi ces missions, on peut citer la mise en place d’un système de reporting et de gestion « en direct » de la distribution sur certains marchés clés, ou encore l’automatisation et le classement des données pour optimiser le temps des équipes et améliorer la prise de décision opérationnelle des Directeurs Généraux. Ces initiatives permettent d’allier efficacité et réactivité dans un environnement concurrentiel.
Le chief of staff endosse un rôle stratégique dans les entreprises familiales comme Ferrero, où tradition et innovation doivent coexister. En orchestrant la stratégie, la transformation et la transmission des valeurs, il garantit une croissance cohérente tout en préservant l’héritage. À la fois facilitateur et équilibriste, le COS incarne l’harmonie entre vision à long terme et modernisation : un acteur essentiel pour pérenniser ces organisations dans un monde en constante évolution.